Anarchisme: Sacco & Vanzetti/ G. ZEter, septembre 2006

Anarchisme - Prisme de vue camĂ©ra sur : Sacco & Vanzetti, le film.

 

Par : ZETER Georges.

 

RĂ©cemment je dĂ®nais avec mon fils, lorsque qu'au tournant de la conversation je prononçais le mot ANARCHIE.  S'Ă©coula alors, entre deux bouchĂ©es de Lasagne de ce petit d'homme de 14 ans tout un lessivage de cerveau bien orchestrĂ©, et tel le souverain du poncif il m'assĂ©na : L'anarchie !  C'est des terroristes, des gens qui ne respectaient rien !  J'en perdais mon Saint Simon et me tachais la chemise de rouge, sauce tomate… Qu'oyais -je ? Car lors de mes travaux de recherche concernant le cas Sacco et Vanzetti, travaux principalement dirigĂ©s sous l'angle de l'analyse filmique,[1] nous avions visionnĂ© ensemble le film de Giuliano Montaldo, Sacco e Vanzetti (1971), pourquoi le message n'Ă©tait-il point passĂ© ? Ce cinĂ©aste des annĂ©es 60 avait pourtant mis le doigt sur le vĂ©hicule de l'idĂ©e anarchique ; un homme libre, celui qui vit en harmonie avec ses valeurs et pensĂ©s. MĂŞme si ces deux anarchistes italiens Ă©taient emprisonnĂ©s, il Ă©tait dĂ©montrĂ© que l'homme par la force de ses croyances et conceptions de la vie restait libre-penseur. Je renonçais temporairement Ă  convaincre mon fils en me tenant Ă  la devise des mĂ©decins romains, primium non nocere… J'en terminais avec mes lasagnes, perdu dans mes pensĂ©s tel un Marc Aurèle attablĂ© se posant Ă  propos de chaque chose : qu'est ce en soi, quelle est sa nature propre ? Quelle est sa nature causale ? Ou plutĂ´t pour ĂŞtre moderne, l'expansion causale de la volition ? [2]

Lors de la rĂ©daction de mon mĂ©moire : An Incursion of Art Into Political Reality : The Sacco and Vanzetti Case, Revisited by Filmmaker Giuliano Montaldo during the 60's, il m'avait paru primordial de dĂ©montrer que G. Montaldo pouvait ĂŞtre « l'agent qui se met en mesure d'agir Â» et de dĂ©montrer si possible que l'art, et particulièrement « l'artiste Â», dans un contexte historique spĂ©cifique pouvait par son langage, peser sur certains Ă©vĂ©nements politiques passĂ©s ou prĂ©sents.

J'avais d'abord visionnĂ© en rĂ©fĂ©rence le premier film de Gillo Pontecorvo, La Larga Strada Azzurra (1957), l'histoire d'un petit village pris dans une tornade politique, Giuliano Montaldo Ă©tait l'assistant Ă  la mise en scène ainsi que sur le film La bataille d'Alger (1959)[3] qui dĂ©crit sous une forme documentaire la rĂ©pression française algĂ©rienne. Travailler sur ces deux films constituait une vraie base de curriculum.  Il en ressortait aussi que Montaldo Ă©tait « l'enfant Â» de son Ă©poque : […] On peut assumer que, certains moments vont influencer les gens de manière diffĂ©rente, tout dĂ©pend Ă  quelle Ă©tape de leurs vie ils en sont. Particulièrement la gĂ©nĂ©ration des Baby Boomer car les Ă©vĂ©nements historiques ou sociaux changeront leurs façons de penser.[4]  Il ne faut pas oublier le contexte politique de l'Italie Ă  cette pĂ©riode, car depuis 1945 la Democrazia Cristinia installĂ©e par des « pressions AmĂ©ricaines Â» gouvernait, ou plutĂ´t expĂ©diait les affaires courantes… Mafieuses. De plus, le Vatican s'impliqua avec des officiers des services secrets amĂ©ricain afin d'utiliser des ex-nazis pour la « guerre Â» contre le communisme, l'un d'eux Ă©tait Monsignor Montini qui deviendra par la suite en 1963, le Pape Paul VI.[5]

Il fallut attendre 1973 et l'élection du socialiste Aldo Moro, assassiné plus tard (1978) par les brigades rouges, pour que l'Italie, enfin, se rassemble autour d'un projet de société.[6]

Dans un monde de fugitifs, ceux qui ont décidé suivre des chemin opposés, donnent l'impression de s'enfuir.[7]

Pouvons nous dire que G. Montaldo est/a Ă©tĂ© un anarchiste ? A vous d'en juger.

J'ai eu la chance d'ĂŞtre en contact avec lui pendant l'annĂ©e 2004. Ses messages Internet me restituaient ceux d'un homme habitĂ© par des convictions profondes, inĂ©branlables : […] mon aversion contre l'intolĂ©rance m'a permis d'Ă©laborer des films dits « difficiles Â» […] AnnĂ©es après annĂ©es sans jamais me fatiguer je me suis battu contre un système pourri |…]

-         Cri du sphinx Atropos. Travail Ă  la chaĂ®ne.[8]

-         […}Ce ne s'est pas seulement passĂ© pour Sacco e Vanzetti, mais aussi pour Giordano Bruno, Got mit Uns, l'Agnese va morire, Gli Occhiali d'Oro…

-         Parce que c'est le monde entier qui doit ĂŞtre non seulement retournĂ© mais de toutes parts aiguillonnĂ© dans ses conventions.[9]

-         […] Je ne suis pas une victime, c'est mes choix, ma libertĂ© de crĂ©er.

Ce dialogue Ă  distance entre Breton et Montaldo rĂ©sume la non acceptation de la sĂ©nescence d'une sociĂ©tĂ© pour qui les hommes ne seraient que les membres du jeu de rĂ´le Post Mortem[10], au lieu d'ĂŞtre des hommes multi - talentistes, tel que le proposait la thĂ©orie Saint Simonienne : […} un « Conseil des Lumières Â» constituĂ© de savants, d'artistes, d'artisans, de chefs d'entreprise capables de privilĂ©gier les faits et le fond plutĂ´t que les principes et la forme.[11] 

Dans ses jeunes années, G. Montaldo dans un théâtre de la banlieue de Gêne vit la pièce Sacco e Vanzetti. […] A cet instant j'ai voulu porter à l'écran cette histoire de pauvreté, d'exclusion et d'intolérance. Avec Fabrizio Onofri, un essayiste, nous avons écrit un synopsis. Toutes les portes se sont fermées. Un film qui raconte l'histoire de deux émigrants, la chaise électrique et la mort… Un ratage complet sans aucun doute et le lynchage médiatique assuré.

Il est vrai, Montaldo dixit : […] un vrai chalenge, depuis que le marchĂ© cinĂ©matographique Ă  la suite du merveilleux mouvement NĂ©o-rĂ©aliste ne demandait plus que des films lĂ©gers, amusants…

Après trois années, G. Montaldo rencontre le producteur Arrigo Colombo, échapper des fascistes Mussoliniens aux U.S.A. en 1938. Selon le réalisateur, trouver des informations de premières mains ne fut pas une sinécure, retourner les vieilles pierres semblait être un acte contre productif. Il ne faut pas oublier que le mouvement contestataire en Amérique contre la guerre du Vietnam (They made a wasteland, and called it peace),[12] donnait des sueurs froides aux autorités.

Finalement le film se tourna à Dublin. L'Irlande de la fin des années 1960 ressemblait de par son architecture et son atmosphère au Boston des années 20…

La chance pour Montaldo fut de recruter deux acteurs exceptionnels : Gianmaria Volonte et Ricardo Cucciola. Le premier Ă©tait natif du PiĂ©mont comme Vanzetti, le second des Pouilles comme Sacco. Selon Montaldo « ils sentaient qu'ils avaient la responsabilitĂ© de faire revivre ce « laĂŻc Golgotha Â» avec un engagement artistique total Â».

Durant le montage, le Maestro Ennio Moricone proposa Ă  Montaldo d'utiliser une partition vocale. Le choix s'arrĂŞta sur « La ballade de Sacco et Vanzetti [13]» interprĂ©tĂ©e par Joan Baez.

Avant la sortie du film en 1971, un journaliste nommĂ© Russell du Boston Globe Ă©crivit Ă  ses lecteurs : de ne pas voir le film, car sans aucun doute ce cinĂ©aste Italien croyait en l'innocence des deux hommes, doublĂ© d'un anarchiste convaincu très certainement.[14]

Le film connut un succès mondial, particulièrement Ă  Boston… Suite Ă  son visionnage, des Ă©tudiants de Harvard Law School dĂ©cidèrent de rĂ©Ă©tudier le cas. Suivirent 7 annĂ©es, le 23 aoĂ»t 1977, ces Ă©tudiants furent invitĂ©s par le gouverneur du Massachusetts, Michael Dukakis. De ce jour date la cĂ©lĂ©bration non officielle du « Sacco and Vanzetti Day Â».

Everything should be done to keep alive the tragic affair of Sacco & Vanzetti in the conscience of mankind.[15]

Le cas Sacco et Vanzetti a inspirĂ© des centaines de livres, articles, poèmes, nouvelles, chansons, peintures, documentaires et films, il a uni les peuples, les religions et les races afin de prouver leur innocence. L'arrogance des juges et des autoritĂ©s qui avaient dĂ©cidĂ©s en violation des lois, du mĂ©pris, des preuves entachĂ©es de malhonnĂŞtetĂ©, de la dĂ©cence la plus Ă©vidente, avaient certainement remportĂ©s cette manche, quant Ă  nous, les gens, les citoyens ou comme aurait dit Staline, « les imbĂ©ciles utiles Â», nous n'avons pas abdiquĂ©, l'an prochain sera le 80ème « anniversaire Â» de leur exĂ©cution, nous y seront nombreux ! 

Le cinéma a atteint son but quand la photographie provoque spontanément en nous les associations souhaitables […] elles parviennent même pas jusqu'à notre conscience, mais leurs virtualité est obscurément ressentie, et c'est elle qui donne à l'image sa densité esthétique.[16]

Le cinĂ©ma, tout comme le rĂŞve d'après Jung est l'expression d'une rĂ©surgence de symboles archaĂŻques et le prolongement du rayonnement des archĂ©types, le cinĂ©ma peut nous livrer un aspect privilĂ©giĂ© de cette rĂ©surgence et de ce prolongement. G. Montaldo Ă  de maintes reprises s'est investi dans la reconstitution d'Ă©vĂ©nements historiques, a-t-il Ă©tĂ© un historien tel que l'on peut l'entendre ou plutĂ´t comme Clio, muse de l'histoire, fille de la mĂ©moire ? Montaldo poursuit son chemin, comme acteur dans le film de Nanni Moretti, le CaĂŻman, l'homme, le cinĂ©aste, l'artiste s'est bien mis en mesure d'agir, en vue d'un rĂ©sultat, interne ou externe. Son action a Ă©tĂ© complète, elle a apportĂ©e un changement du « monde Â» et a formĂ© un but Ă  l'action. L'expansion causale de la volition…  

La contestation n'est jamais simple ni unie. Bien sĂ»r, les mĂ©dias promeuvent çà et lĂ  des meneurs : Cohn-Bendit et Geismar en mai 68, Lech Walesa, JosĂ© BovĂ© ou le Commandant Marcos en d'autres temps.  Mais il est dangereux de s'y laisser prendre, surtout quand il s'agit d'une fermentation sociale permanente.[17] J'y ajouterai pour ma part Sacco et Vanzetti. A contrario de cette fabrication des meneurs ponctuels mĂ©diatiques, ce cas reste ouvert ou comme l'a Ă©crit Katerine Anne Porter, « The never Ending Wrong Â».[18]  Depuis 1921, bien au-delĂ  de la douche nausĂ©euse des news, il est devenu un continuum ouvert. Furent-ils coupables ou non ?[19] Quelle importance, ce qu'il en reste est le ferment d'une prise de conscience globale, mĂŞme si aujourd'hui encore tel le Gouverneur Carcieri du Rhodes Island qui en mars 2004 voulait jeter en prison pour 10 ans « toute personne qui enseigne ou promeut des thĂ©ories anarchiques Â»[20], lui aussi utilisait les mĂ©dias et les meneurs … D'outre tombe – ou la permanence de la fermentation. 

Quant à moi, hier encore, mon fils m'a raconté que lorsque son professeur entrait dans la salle de classe il exprimait son mécontentement causé par le brouhaha par un tonitruant :

- Mais c'est l'anarchie ici ! 

 

Grenoble – septembre 2006


 


[1]Francis, Vanoye et Anne, Goliot-LĂ©tĂ©.  PrĂ©cis d'analyse filmique. (Paris : Nathan, 1992). L'analyse filmique n'est pas une fin en soi.  C'est une pratique qui procède d'une commande, laquelle se situe dans un contexte institutionnel. 

2 JoĂ«lle, Proust. La nature de la volontĂ©. (Paris : Editions Gallimard, 2005). La volition est l'Ă©vĂ©nement par lequel l'agent « se met en mesure d'agir Â» en vue d'un rĂ©sultat, interne ou externe. L'action complète, qui inclut ce changement du monde formant le but de l'action, est L'expansion causale de la volition.                                                                                                                             3 Neil, Howe & Bill, Strauss.  Generations: The history of America's Future 1584-2069.  (New York : Morrow, 1991)                  

4 Le film sera finalement prĂ©sentĂ© au Festival de Cannes 2004… Après accord du Pentagone.                                                                                                                                                                                                                     

[5]Aarons, M. Loftus et J. Unholy Trinity. 1992 - http://www.namebase.org/main2/Giovanni-_28pope-paul-vi_29-Montini.html

[6] Jacques, Georgel. L'Italie au XXème siècle : 1919 – 1995. (Rennes : FacultĂ© de droit et sciences politiques de Rennes, 1996) 82-87

[7] T.S, Elliot. Citation du livre : Really the blues-Milton  Â«Mezz» Mezzrow. (New York : Ramdom House, 1946)

[8] AndrĂ©, Breton. Ode Ă  Charles Fourier. (Paris : Fata Morgata, 1994)

[9] Idem.

[10] Que deviennent les personnages des joueurs après leur trépas ? De vulgaires bouts de papier gras, érodés par les traces de gomme, dont les taches de café rendent la lecture difficile. www.Roliste.com

[11] Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint Simon (1760-1825) http://expositions.bnf.fr/utopie/cabinets/rep/bio/9.htm

[12] Stanley, Karnow. Vietnam: A history.  (New York: The Viking Press: 1983) - Citation de Tacitus.

[13]Chanson Ă©crite par Woody Guthrie en 1947.

[14]Cité dans un courrier de G.Montaldo du 13 mars 2004.

[15]Albert Einstein in: Louis, Joughin et Morgan, M. Edmund.  The legacy of Sacco and Vanzetti. (New Jersey: Princeton University Press, 1978) 66-69

[16] Henri, Agel.  MĂ©taphysique du cinĂ©ma. (Paris : petite bibliothèque Payot, 1976)

[17]Ronald, Creagh.  Article : La rĂ©volte en pointillĂ©.  http://divergences.be/article.php3?id_article=21

 18 The Black Tea Society.   Auteur inconnu.  http:// blackteasociety.org, 2004                                                                                

19 Robert, H. Montgomery. Sacco – Vanzetti: The murder and the myth. (New York: Devin-Adair, 1960) Francis, Russell.  Sacco and Vanzetti: The case resolved.  (New York: HarperCollins, 1986)  

20 Joan, Givner.  Katherine Anne Porter: A life. (New York : Simon and Schuster, 1982)                                       

 

 

 
 
 


23/10/2006
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