l'histoire d'une jeune femme...

Une jeune femme prise dans le «cercle vicieux» de la prison

Incarcérée en 2002 pour des «vols simples», elle n’en sortira qu’en 2007.

 

ONDINE MILLOT

QUOTIDIEN : samedi 23 février 2008

 

Elle était là au rendez-vous avec une demi-heure d’avance, attendant debout dans le froid, les mains recroquevillées dans son blouson trop grand, un épais dossier sous le bras. A l’intérieur de la chemise cartonnée, cinq ans de sa vie. Cinq ans qui inspirent révolte et incompréhension à tous ceux qui la connaissent, cinq ans de gâchis.

Sandra (1) a 22 ans lorsqu’elle est incarcĂ©rĂ©e, en janvier 2002, pour des vols dans un supermarchĂ©. Des vols «simples», sans violences. Mais ce n’est pas la première fois. Elle n’a plus droit au sursis. Elle est condamnĂ©e Ă  six mois ferme, auxquels se rajoutent, un peu plus tard, six mois pour des faits similaires - un ordinateur et du champagne dĂ©robĂ©s dans une grande surface. Un an, donc, au total. Et pourtant Sandra est restĂ©e en prison pendant presque cinq ans, jusqu’en novembre 2007.

Fichée. Sandra, dit son avocate, a un «problème avec l’autorité». La frêle jeune femme reconnaît : «Je ne supporte pas qu’on me parle mal, et en prison, c’est sans arrêt.» Le dossier qu’elle trimballe en atteste. Des dizaines et des dizaines de feuilles, rapports d’enquêtes de l’administration pénitentiaire, comptes rendus de comparution devant la commission de discipline pour «refus d’obtempérer», «comportement agressif», «tapage».

Toutes ces histoires se ressemblent. Au départ, une altercation avec un membre du personnel. «Vous avez refusé d’obtempérer à mes injonctions qui étaient de vous mettre devant moi, et vous avez forcé le passage pour sortir du bureau en bousculant la surveillante, note un directeur d’établissement dans l’un de ces innombrables rapports. Au vu du trouble que vous avez créé, votre placement en cellule disciplinaire a été nécessaire.»

Pour des faits de cette nature ou des insultes, Sandra passe la moitiĂ© de son temps au quartier disciplinaire. Ce «mitard», oĂą les dĂ©tenus sont privĂ©s de toute activitĂ© et de tout contact humain. Son dossier prouve que, malgrĂ© le maximum lĂ©gal de 45 jours, elle y est parfois restĂ©e 80 jours, voire 115 jours. «Ils me sortaient pendant 24 heures au bout de 45 jours, pour respecter la loi, puis ils m’y remettaient, alors que je n’avais pas commis de nouvelle infraction», dit-elle. «A rester en permanence seule entre quatre murs, c’est vrai, je devenais plus sensible. La moindre parole de travers, je me mettais en rage.»

Un matin, Sandra réclame du papier-toilette à la surveillante. «Elle m’a répondue : "J’ai pas le temps, t’as qu’à faire ça avec ta langue". Je lui ai craché dessus.» La surveillante porte plainte, Sandra est condamnée à trois mois de prison ferme. Le «cercle vicieux» est lancé. Quatre mois, six mois, huit mois ferme pour agressions physiques et verbales : les sanctions s’enchaînent et ne cessent d’allonger la peine. Difficile de ne pas les juger disproportionnées au vu des faits reprochés : crachats ou insultes le plus souvent, agressions physiques parfois, mais rapidement maîtrisées, et sans blessures à déplorer. A chaque audience, Sandra reconnaît ses torts. Cela ne suffit pas. Elle paye son statut de «multirécidiviste».

A l’heure où une loi pénitentiaire est en préparation pour renforcer la «mission de réinsertion» de la prison (lire page 14), le parcours de Sandra démontre le mécanisme exactement inverse. Rapidement fichée détenue particulièrement signalée (DPS), elle est transférée de prison en prison : Amiens, Lille, Epinal, Nancy, Rouen, Rennes, Bapaume, Mulhouse, Fleury… Sandra ne reste parfois que quelques jours dans un établissement avant un nouveau départ. «Ils venaient me réveiller le matin, à dix dans la cellule. Je demandais pourquoi il fallait partir, ils me répondaient : "Motif d’ordre et de sécurité".»

A chaque transfert, elle perd une partie de ses affaires. Les quelques proches qui lui rendaient visite au début abandonnent, son petit ami aussi. «Il me disait : "Mais pourquoi tu leur réponds, laisse-les parler et tu sortiras."» Elle sourit faiblement : «Ceux qui sont dehors ne peuvent pas comprendre l’humiliation de la prison.»

Anorexique. Au tout début de son incarcération, Sandra, alors enceinte de huit semaines, a fait une fausse couche. «Cet enfant, on l’avait désiré, on voulait le garder», dit-elle. Elle demande des explications au médecin, qui lui a prescrit des médicaments malgré sa grossesse - un traitement dont l’infirmière a laissé sous-entendre qu’il pouvait être à l’origine de la fausse couche. «Je n’ai jamais eu de réponse.» Reste le doute et la tristesse. Au bout de trois ans de prison, Sandra devient anorexique. Elle n’est pas soignée. «Malgré tout ce qu’elle a vécu, elle ne se plaint jamais, dit Robert, son visiteur de prison. A chaque fois qu’elle m’a demandé quelque chose, c’était pour une de ses codétenues. Elle a un grand sens des valeurs : l’amitié, l’honneur, le respect de la dignité humaine. Mais dès qu’il n’y a plus de respect, elle voit rouge.» Robert, lui aussi, a demandé à Sandra de ne plus répondre aux humiliations quotidiennes. Tout comme Yasmine, amie et ancienne codétenue. «Il y a des surveillantes super sympas. Malheureusement, il y en a toujours d’autres qui nous provoquent et nous insultent, témoigne cette dernière. Je disais à Sandra de faire comme moi, de ne pas réagir. Le problème c’est qu’avec son dossier, la pénitentiaire la voit comme quelqu’un qu’il faut mater.»

Depuis le mois de novembre, Sandra habite un foyer de la région parisienne. Elle vient de retrouver un emploi de vendeuse. Mais elle vient aussi d’être à nouveau condamnée à dix mois ferme pour avoir craché sur un procureur lors d’une audience passée. Ce lundi, un juge d’application des peines doit décider de son sort : prison, ou aménagement de peine avec un bracelet électronique.

Sandra avait 2 ans lorsque son père est parti en prison ; 8 ans lorsqu’il en est sorti ; 9 ans lorsqu’il est dĂ©cĂ©dĂ© ; 14 ans lorsque sa mère l’a mise Ă  la porte de chez elle. Elle a aujourd’hui 28 ans. «Quand on se penche sur son dossier, dit Robert, page après page, annĂ©e après annĂ©e, on a l’impression que jamais sa chance ne lui a Ă©tĂ© donnĂ©e.»

(1) Le prénom a été changé.

 



21/11/2008
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